Comment réussir à conduire le changement de sa transformation digitale

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Une tribune de Fabien Vacheret, expert en culture d’entreprise et conduite du changement, proposée par Yooz.

La transformation digitale au cœur de notre quotidien

Transformation digitale, digitalisation ou uberisation de son activité sont des expressions qui font aujourd’hui partie de notre quotidien. Selon IDC France, à mi-2020, 70 % des grandes entreprises et 53 % des PME ont engagé leur transformation numérique. La Covid-19 a d’ailleurs joué un rôle d’agent de contraste dans le domaine. D’un côté, elle a accéléré les projets existants. Le télétravail étant devenu une obligation, les projets d’outils collaboratifs à distance ou de dématérialisation des factures ont été placés parmi les premières priorités. De l’autre, elle a fait ressortir les inconvénients de ne pas avoir engagé de telles transformations : perte de clients, ruptures de production ou encore dysfonctionnements accrus de l’entreprise. Warren Buffet aurait pu à nouveau dire : « Only when the tide goes out do you discover who’s been swimming naked. »

Une enquête de Keyrus Management, publiée en juillet 2020 et réalisée auprès de 120 directeurs administratifs et financiers français montre que, dans le contexte sanitaire actuel, l’automatisation des processus arrive en troisième priorité. Le pilotage des coûts salariaux et de la trésorerie reste en tête. L’accélération de la transformation est clairement à l’ordre du jour dans les directions financières. Elle se traduira par la refonte des architectures SI (pour huit entreprises sur dix) et l’automatisation des processus (pour les trois quarts des entreprises), en particulier pour les organisations les plus grandes. Selon une étude de Blackline, la communication et la collaboration (44 %), mais aussi la technologie et les infrastructures (31 %) figurent parmi les principaux défis imposés aux fonctions comptable et financière, dont plus de huit professionnels sur dix s’attendent à une adoption accélérée du numérique après la crise.

D’après Gartner, 70 % des directions générales veulent accélérer leur transformation suite à la crise sanitaire. Nouvelle en trompe l’œil, les deux tiers des projets n'atteignent pas leurs objectifs : 70 % selon McKinsey, 60 % selon Forrester. La cause est simple, les chefs de projets concentrent tout leur effort sur la technologie et oublient la véritable ressource créatrice de valeur de nos entreprises. Celle sans qui rien ne fonctionne : les femmes et les hommes de l’organisation. Ce ratio est le même depuis plus de trente ans, et pour la même cause… La transformation digitale sans l’humain, ce n’est finalement qu’un projet informatique.

Des transformations de plus en plus difficiles à conduire et réussir

Trente ans et toujours le même ratio. Les méthodologies de conduite de changement développées depuis lors sont nombreuses et ont apporté des résultats. Le problème, c’est que les projets d’aujourd’hui viennent percuter encore plus en profondeur les individus. Ces changements bouleversent la nature même de ce que l’on est, de ce que l’on pense immuable. Notre vision du monde, de nous-même et de notre contribution à la société s’en voit perturbée. L’identité de chacun, individus comme organisations, est fragilisée.

Au niveau individuel, jamais autant de personnes n’ont été en quête de sens, de quelque chose de solide en lequel croire et s’investir. On parle de crise identitaire, de développement personnel, de connexion à soi. Le nombre de coachs et autres accompagnateurs proposant des solutions pour « se retrouver », « se recentrer sur l’essentiel » ne cesse de croître. Il devient de plus en plus normal, voire banal « d’aller voir quelqu’un » pour aider à traverser les périodes de changement et gagner en résilience.

Au niveau des organisations, cette crise se manifeste dans ce que l’on appelle la culture d’entreprise. De par leur violence, leur soudaineté et leur complexité, les mutations sociétales percutent les organisations dans ce qui les définit en leur for intérieur, jusqu’au cœur de ce qu’elles sont et de ce à quoi elles servent. Edgar Schein, professeur au MIT, explique dès 1985 dans « Organizational culture and leadership » que la culture est la première source des résistances aux changements. En 2000, Peter Drucker prononça cette phrase devenue célèbre : « Culture eats strategy for breakfast ».

La culture d’entreprise comme principal facteur clé de succès

Par culture d’entreprise, il faut appliquer la définition de l’Unesco au corps social d’une entreprise : la culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. En d’autres termes, la culture d’une entreprise se spécifie par l’interaction entre les croyances du corps social, les comportements individuels, collectifs et managériaux et les caractéristiques organisationnelles, allant du lieu de travail au processus en passant par les politiques d’entreprise.

Les entreprises qui éprouvent le plus de difficultés à réussir leur transformation digitale sont précisément celles qui considèrent la transformation numérique avant tout comme un projet technologique et que « l’intendance suivra ». Ce sont les entreprises qui considèrent que changer le seul aspect organisationnel de la culture de l’entreprise suffira. Hélas, la capacité de résilience des collectifs est bien souvent plus forte que le changement provoqué. L’expérience nous montre que lorsque l’on veut faire évoluer les pratiques d’un collectif (l’objectif de tout projet est bien de changer la manière dont les gens travaillent), il est nécessaire de faire évoluer les trois composantes de la culture dans le même temps : les croyances, les comportements et les éléments technologiques et organisationnels. A défaut, le corps social va considérer les changements comme des anomalies et va tout faire pour les annihiler. Pour illustration, comptez combien de montées de version de votre ERP ont été menées sans obtenir les promesses de productivité ? Une raison simple, ces projets font évoluer le moteur du véhicule mais personne ne s’occupe de la manière de conduire.

L’économiste américain Gary Hamel a bien résumé les deux écueils auxquels se heurtent les entreprises dès lors qu’il s’agit de se transformer : d’une part, les organisations actuelles n’ont pas été conçues pour changer de manière proactive et en profondeur mais, au contraire, sur des modèles qui privilégient la discipline, la hiérarchie, l’efficacité et la routine. D’autre part, la concentration des décisions dans les mains de quelques acteurs provoquent des délais trop importants entre le moment où un changement est identifié comme nécessaire par le terrain et le moment où l’exécutif prend la décision. Par construction, les transformations sont toujours en retard et nécessitent toujours un passage en force. Deux écueils particulièrement antagonistes avec les bonnes pratiques d’une transformation digitale ou, formulé autrement, l’intégration du digital dans sa culture.

Trois principes pour réussir sa transformation digitale

Trois principes sont à privilégier. Le premier, qu’il ne faut pas sous-estimer, consiste à être conscient des limites d’une approche trop focalisée sur la technologie, au détriment des usages, des enjeux culturels et du facteur humain. La plupart des transformations numériques n’ont pas généré les résultats attendus. Quasiment toujours à cause d’un problème d’accompagnement de l’évolution des pratiques ou usage et donc, de l’orchestration de l’évolution de la culture de l’entreprise.

Deuxième principe : se connaître et fixer un cap. Trop souvent, les dirigeants se limitent à formuler un dessein pour motiver leurs choix et mobiliser leurs équipes. Connaître le point de départ est presque plus important que de décrire la ligne d’arrivée. Identifier les traits culturels qui sont favorables à la situation future, ceux qui vont être des freins doit être une priorité pour tout leader en charge d’une transformation. Son programme de travail pourra ainsi être ciblé sur quelques situations précises qui provoqueront le mouvement recherché, telle une cascade de dominos.

Le troisième consiste à engager des chantiers qui permettent un déploiement rapide, de générer une forte visibilité, des bénéfices immédiats et de faire évoluer les pratiques et les comportements. Tous les projets s’appuyant sur des technologies SaaS (Software as a Service) spécifiques à des processus métiers précis sont des bons candidats. L'investissement technique est faible, ce qui laisse du budget pour aider le management à s’occuper des hommes. Le retour sur investissement est rapide et la visibilité maximale. De plus, ce sont souvent des outils qui réduisent les tâches à moindre valeur ajoutée et qui offrent une forte satisfaction des utilisateurs.

Avec cette approche, le changement devient plus rapidement une réalité, il s’installe plus rapidement dans le quotidien. La proximité provoquée entre le management et ses équipes limite l’inquiétude, présente la transformation de manière positive (adieu les tâches chronophages, démotivantes et peu créatrices de valeur) et permet d’accompagner chaque individu dans la sortie de sa zone de confort pour apprendre de nouveaux gestes.

Fabien Vacheret, expert en culture d’entreprise et conduite du changement

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