"La facture électronique ne doit pas être vue comme une contrainte car elle offre de réels avantages"

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Rencontre avec Nicolas Mellin, Directeur de l'innovation chez Sage, un éditeur de logiciels spécialisé dans les solutions de gestion pour les entreprises de toutes tailles, des TPE aux ETI.

Il nous explique pourquoi, selon lui, la réforme de la facturation électronique reste cruciale pour l'économie française et la compétitivité des entreprises. Et il nous fait part de la manière dont Sage accompagne les entreprises dans cette numérisation de leurs process.

LeMondeduChiffre : Vos concurrents prévoient un service de facturation électronique gratuit, mais cette réforme sera-t-elle vraiment sans coût pour les entreprises, notamment en matière de logiciels et de formation ?

Nicolas Mellin: Concernant la facturation électronique, Sage a été le premier à faire le intégrer sans surcoût la plateforme de dématérialisation partenaire (PDP) dans nos solutions. Nous avons intégré ce service directement dans l'abonnement du client en considération de la réglementation à venir. Les flux sont intégrés sans surcoût dans nos solutions, quelle que soit la gamme de produits. Chez Sage, notre offre s'étend de la TPE à la filiale du grand compte, et pour tous, nous intégrons 95% des flux. En fait, la facture électronique, n'est qu'un tuyau entre un client et un fournisseur, l'État récupérant les données au passage. Cela n'a aucune valeur intrinsèque pour l'utilisateur ou le client. Ce qui est intéressant, ce sont tous les services que nous pouvons proposer autour de ce tuyau. Ainsi, en tant qu'éditeur, nous pouvons offrir des services qui apportent de la valeur ajoutée: workflow, dématérialisation, paiements sécurisés. Le client pourra choisir un ou plusieurs services, ou aucun. C'est à lui de décider. Mais chaque service lui permettra de gagner du temps.

Sachant que les pouvoirs publics ont failli reporter l'entrée en vigueur de la facturation électronique, craignez-vous d'autres tentatives de report ou de recul sur ce sujet ou sur la TVA ?

N.M.: Je n'y crois pas. Compte tenu de l'intérêt pour l'économie française, et vu le retard que nous accusons déjà en France, que ce soit sur la dette ou la compétitivité nationale, il serait complètement absurde de repousser cette réforme car elle est excellente pour l'économie française et pour la compétitivité de nos entreprises. Elle reste cruciale. Il faut cesser de la percevoir comme une contrainte. C'est notre rôle, et celui du législateur de montrer tout ce qu'elle va apporter. Pour moi, les tentatives de report ont une motivation plus électorale que rationnelle. Il est facile de se positionner contre, mais avec un minimum d'intelligence économique et de vision entrepreneuriale, on doit se rendre compte que les entreprises meurent à cause des problèmes de trésorerie. Si je vous donne un outil qui vous permet de voir en temps réel si votre fournisseur ou votre client a reçu sa facture, imaginez le gain de temps. Cela ne supprimera pas les mauvais payeurs, mais cela raccourcira les délais de paiement. Par exemple, en Italie, où la facturation électronique a été mise en place il y a plusieurs années, personne ne souhaite revenir en arrière, malgré des débuts difficiles.

 Justement, l’exemple de l’Italie ne montre-t-il pas que la mise en place de la facturation électronique reste compliquée?

N.M.: Les difficultés de mise en route de la facture électronique en Italie, étaient dues au fait que les données des clients et des fournisseurs étaient erronées. Quand vous réalisez un devis et que vous ne disposez pas de toutes les informations nécessaires, comme le numéro de SIRET, vous mettez des valeurs par défaut en vous promettant de les corriger plus tard. Or ces données inexactes restent dans les systèmes. La première étape consiste donc à nettoyer ses données. Une fois qu'elles sont propres, tout fonctionne parfaitement. En France, l'enjeu entre mai 2025 et septembre 2026 sera de choisir sa PDP (Plateforme de Dématérialisation Partenaire). Si elle est déjà intégrée dans le produit, il conviendra de la conserver et de se concentrer sur le nettoyage des données. Nous disposons d'outils pour aider les entreprises. Ces dernières ne doivent pas avoir peur, et doivent plutôt en profiter pour repenser leur système d'information. J’invite notamment les TPE ou les micro-entreprises à s’appuyer sur leur expert-comptable.

N'est-ce pas plutôt la question du coût des logiciels et de la formation des équipes que redoutent les PME ?

N.M.: Je ne suis pas d'accord. Il y a certes un coût initial, mais les gains apportés en termes de temps gagné, de réduction du stress, d’efficacité accrue, de données en temps réel et de décisions plus justes, représentent des gains de productivité et d'efficacité considérables. Comme pour tout investissement, il ne faut pas s'arrêter au coût initial, mais considérer ce qu'il permet d'accomplir. Un bon chef d'entreprise, un bon expert-comptable doit raisonner ainsi. Si je vous dis qu'il faut investir 10 pour gagner 1000, la question est : regarde-t-on les 10 ou les 1000 ?

La réforme de la facturation électronique n’entraîne-t-elle pas aussi une accélération de l'implémentation de l'IA ?

N.M.: En effet, la facture électronique, combinée à l'IA, permet une gestion de la trésorerie en temps réel, ce qui est un atout considérable. Cela permet aux utilisateurs d'accéder plus rapidement à des données fiables, ce qui est essentiel pour la prise de décision rapide. Aujourd’hui, les entreprises travaillent souvent avec des données décalées de plusieurs mois, c’est comme conduire à grande vitesse en regardant dans le rétroviseur. La facture électronique et l’IA vont révolutionner cela.

Mais il semblerait que les petites entreprises, qui constituent la majorité des entreprises en France, accusent déjà du retard sur la facturation électronique. Comment pourraient-elles être prêtes pour l'IA ?

N.M.: Il n'y a pas encore de retard à proprement parler. La facture électronique doit entrer en vigueur en septembre 2026. Mais, seulement 35% des TPE et PME ont conscience que cette échéance approche. C'est notre rôle en tant qu'éditeur de logiciels, ainsi que celui des pouvoirs publics et de l'ensemble des entreprises, de sensibiliser à cette évolution. La difficulté réside dans le fait que la facture électronique est perçue comme une contrainte réglementaire, alors qu'elle apporte des avantages considérables : accélération des paiements, meilleur suivi de la trésorerie sachant que le cash reste un sujet essentiel de gestion d’entreprise.

Actuellement, la compétitivité des entreprises françaises est en retard par rapport aux entreprises britanniques ou américaines parce que nous n'avons pas suffisamment adopté l'IA et que nous ne sommes pas encore assez matures sur ce sujet. Notre rôle est d'accompagner les entreprises dans cette transition.

Propos recueillis par Samorya Wilson

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