Réforme de l’abus de droit fiscal : la fin d’un monde ?

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Une tribune de Pierre-Emmanuel Scherrer, Associé Département fiscal, Bignon Lebray.

L’abus de droit nouvelle mouture est-il, comme le personnage Mini-Me d’Austin Powers, plus méchant que l’abus de droit classique ?

On l’a vu naître sans fanfare ni trompette, à pas feutrés, marquant un consensus parlementaire. Pour autant, il n’a pas trompé la vigilance des praticiens qui ont immédiatement hurlé au loup.

De quoi s’agit-il ?

L’administration fiscale peut désormais remettre en cause les actes motivés par un but principalement fiscal (et non plus seulement exclusivement fiscal, comme c’était le cas jusqu’à présent). Cet outil est une déclinaison de l’abus de droit par fraude à la loi classique (LPF, art. L. 64) auquel il se superpose.

Il ne s’accompagne pas de pénalité automatique, contrairement à son grand frère, mais l’administration fiscale garde la faculté d’appliquer les sanctions de droit commun : pénalités de 40 % (manquement délibéré) ou 80 % (manœuvres frauduleuses).

Si cette arme en apparence redoutable a déjà fait couler beaucoup d’encre, il convient d’en nuancer la portée.

Tout d’abord, le texte ne concernera que les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020, le temps pour l’administration fiscale de le commenter et pour les contribuables d’en intégrer les contours. D’ailleurs, après le charivari suscité par le nouveau texte, le gouvernement a publié un communiqué de presse (!) indiquant que les donations avec réserve d’usufruit ne sont pas visées (sauf fictivité), une telle pratique trouvant des justifications patrimoniales évidentes.

Par ailleurs, quelques dispositifs anti-abus faisant référence au but principalement fiscal existent déjà en droit positif, qui n’ont pas déchaîné l’hubris des autorités fiscales tant redoutée. De plus, le Conseil d’Etat avait déjà fendillé le but exclusivement fiscal en remettant en cause l’application d’un régime de faveur au motif que l’avantage autre que fiscal était dérisoire (CE, 17 juill. 2013, n° 352989). Cette jurisprudence pourrait trouver un écho dans l’application du nouveau dispositif.

Enfin, une autre condition doit être remplie pour caractériser l’abus de droit : l’application littérale d’un texte en contrariété avec les objectifs de son auteur. Les commentateurs se sont focalisés sur la notion de but principalement fiscal. Or il ne faut pas négliger cette seconde condition qui, jusqu’ici, valait également pour l’abus de droit classique, mais se trouvait phagocytée par le but exclusivement fiscal : une opération uniquement motivée par l’impôt venait le plus souvent « tordre » la loi, de sorte que la contrariété avec les objectifs du législateur ne faisait pas vraiment débat.

Or, le « mini-abus de droit » s’adresse à des opérations potentiellement moins artificielles ; la contrariété avec l’intention du législateur pourrait être plus difficile à prouver par le fisc.

Tous les regards sont désormais tournés vers Bercy.

Pierre-Emmanuel Scherrer, Associé Département fiscal, Bignon Lebray

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