Le Monde du Chiffre : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi KPMG a décidé de céder son offre destinée aux TPE et PME à Tower Brook Capital Partners ?

Jérôme Kiffer : Cette opération s'inscrit dans une réflexion stratégique que nous avons mené avec le directoire de KPMG en France il y a trois ans. Nous avons mené une analyse stratégique pour déterminer le meilleur avenir des activités de conseil aux entrepreneurs de ce segment. Nous avons alors consulté les 500 associés du cabinet (tous métiers, tous marchés), et à plus de 95 %, ils ont approuvé le projet d'autonomisation de cette activité. Pour réaliser cette transition, KPMG a choisi Tower Brook Capital Partners, un partenaire financier et stratégique solide. Et c’est ainsi que, 250 associés de KPMG et Tower Brook ont conjointement décidé de racheter cette activité. L’opération devrait être finalisée sous peu.

LMC : Quelle sera la nouvelle entité issue de cette transformation et quels services va-t-elle proposer ?

J.K. : Elle se nomme Rydge Conseil. Nous avons choisi ce nom, car il s’apparente au mot "ridge" qui signifie « crête » en anglais. Cela évoque le chemin exposé que doivent emprunter les entrepreneurs. Rydge Conseil se concentre sur quatre principaux métiers : l'expertise comptable, la gestion sociale, le conseil et les services juridiques. Notre mission d’accompagnement des entrepreneurs, à chaque étape de leur développement, reste inchangée. Mais nous serons encore plus focalisés sur leurs besoins et sur la qualité du service. Rydge Conseil compte 4 500 salariés et gère près de 100 000 clients, parmi lesquels une entreprise sur dix emploie entre 50 et 500 salariés.

LMC : Comment les clients, auparavant servis par KPMG, réagissent-ils à ce changement ?

J.K. : Très positivement ! Ils apprécient notre aventure entrepreneuriale, alignée avec la leur. Ils conservent leurs interlocuteurs habituels, sans augmentation de tarifs, tout en bénéficiant progressivement d'une offre renforcée et plus ciblée sur leurs besoins. Nous avons impliqué nos collaborateurs trois mois avant l’annonce officielle, ce qui a permis une transition fluide et une communication claire.

LMC : Comment Rydge Conseil compte-t-il se distinguer de la concurrence ?

J.K. : Notre positionnement est unique : nous sommes un cabinet de conseil aux entrepreneurs. Notre mission est d'aider ces derniers à réaliser leurs projets. Nous cultivons une relation de confiance et d'empathie avec nos clients, ce qui est fondamental dans notre approche. C’est ce qui nous distingue.

LMC : Quel rôle joue la digitalisation et l’intelligence artificielle (IA) dans votre stratégie ?

J.K. : La digitalisation et l’IA sont des leviers pour simplifier certaines tâches, mais notre priorité reste l’humain et la relation client. L’IA sera surtout utile pour proposer des recommandations pertinentes aux entrepreneurs, mais cela prendra du temps, notamment avec la mise en place de la facture électronique en 2027. Nous prévoyons d'investir dans ces technologies pour automatiser certaines tâches et permettre à nos équipes de se concentrer sur des interactions plus essentielles avec les clients.

LMC : Comment gérez-vous le défi du recrutement et de la fidélisation dans votre secteur ?

J.K. : Nous misons sur un projet porteur de sens, avec une vision entrepreneuriale et innovante. Nous prévoyons aussi d'ouvrir l'actionnariat aux salariés et d'adopter des modes de travail plus flexibles, incluant le télétravail et l'annualisation du temps de travail qui permet d’adapter la charge selon les périodes hautes et basses. Notre slogan "Venez construire le nouveau cabinet centenaire du conseil" reflète notre ambition et attire des candidats motivés par cette vision.

S’agissant de la fidélisation, la formation continue est cruciale. Nous veillons à ce que nos collaborateurs soient bien formés aux nouveaux outils numériques tout en cultivant une posture proactive dans leurs relations avec les clients. Cela passe par des projets engageants qui motivent nos équipes à s'impliquer dans cette transformation.

LMC : Quelle est votre approche de la durabilité et de la RSE, malgré la remise en cause de la CSRD avec le projet Omnibus, actuellement en discussion au Parlement européen ?

J.K. : Nous souhaitons à terme faire de Rydge Conseil une entreprise à mission. Nous cherchons aussi à aider nos clients à adopter des pratiques durables, même si les obligations réglementaires évoluent. Nous encourageons des actions pragmatiques, comme la réalisation de bilans carbone.

LMC : Quelles sont vos ambitions pour Rydge Conseil ?

J.K. : Nous avons conçu un plan de croissance ambitieux qui privilégie plusieurs axes. Nous comptons doubler notre chiffre d’affaires en cinq ans en visant 800 millions d’euros en 2029, contre 440 millions aujourd’hui. Nous prévoyons de renforcer nos activités de conseil qui représentent actuellement 40 millions d’euros de chiffre d’affaires que nous voulons porter à 80 millions. Nous projetons de multiplier par trois les activités de services juridiques, de 20 à 60 millions d’euros, avec 600 collaborateurs dédiés. La croissance externe fait également partie de nos plans : nous comptons hisser nos investissements à hauteur de 200 millions d’euros d’acquisitions sur les cinq prochaines années. Enfin, nous allons augmenter la part du conseil. Aujourd’hui, l’expertise comptable représente 70 % de notre activité, mais nous souhaitons rééquilibrer notre offre en atteignant 50 % dans les activités non règlementées d'ici à cinq ans. Sur des fondations centenaires de KPMG, nous sommes très enthousiastes à l'idée de construire Rydge Conseil. Nous voulons créer un nouveau référent du conseil aux entrepreneurs en France, porté par des valeurs de confiance, d'engagement et d'innovation.

Propos recueillis par Samorya Wilson