Face aux bouleversements induits par l’intelligence artificielle, les experts-comptables avancent à différentes vitesses. Florian Dufour, diplômé d’expertise comptable consultant et formateur, accompagne les professionnels du chiffre dans cette mutation technologique. Dans cet entretien, il partage son regard sur les enjeux, les freins, et les opportunités de cette transformation.
L’Expert : Comment les experts-comptables et auditeurs perçoivent-ils l’arrivée de l’intelligence artificielle dans leur métier ?
Florian Dufour. C’est très contrasté. Les grands cabinets, comme les « Big Four » (PwC, Deloitte, KPMG, EY), sont déjà bien avancés sur le sujet, mais ce sont des multinationales. En France, la profession comptable est constituée à 86 % de petits cabinets entre 1 et 10 salariés. Parmi eux, on observe trois vitesses de progression : il y a les experts-comptables innovateurs qui sont déjà à la pointe de l’IA, mais qui restent encore minoritaires. Puis, il y a la majorité de la profession, environ 60%, qui commence à s’y intéresser depuis la fin de la période fiscale de l’an dernier. Enfin, il y a les retardataires, qui devraient suivre d’ici fin 2025. Ce que recherchent avant tout les cabinets, c’est que l’IA les aide à gagner en productivité et en qualité, surtout via son intégration dans leurs logiciels de comptabilité. Il existe donc une forte attente vis-à-vis des éditeurs sur ce point.
Les éditeurs affirment pourtant être prêts avec des solutions avancées. Qu’en est-il vraiment ?
F.D. : En général, les éditeurs annoncent leurs innovations en amont pour préparer le marché, mais la réalité technique prend plus de temps. Aujourd’hui, les attentes reposent beaucoup sur les éditeurs comme Sage, Cegid ou encore Pennylane, mais leurs solutions IA pour les professionnels du chiffre ne sont pas 100 % opérationnelles. Par exemple, Pennylane propose une forme de chatbot IA, mais cela reste le premier étage de la fusée, et Sage, qui devait présenter l’an dernier une version bêta de son logiciel intégrant l’IA, a repoussé la sortie sur le marché français (celui-ci est disponible sur le marché du Royaume-Uni). Les professionnels s’impatientent quand ils voient l’essor des IA grand public comme ChatGPT, Mistral AI et consorts : ils se demandent pourquoi ils n’ont pas encore accès à ces technologies. Mais, s’agissant de la comptabilité, le niveau d’exigence est beaucoup plus élevé alors que l’IA reste probabiliste et peut commettre des erreurs. En effet, nous sommes dans une profession qui exige des réponses performantes et fiables, ce qui complique l’intégration de l’IA dans les logiciels.
Que diriez-vous à ceux qui seraient tentés de recourir à des IA en open source ?
F.D. : Je leur conseillerais d’éviter absolument de le faire, en raison des problématiques de sécurité et de protection des données. Je rappelle que les experts-comptables ont des obligations strictes en matière de RGPD et de secret professionnel, ce qui limite leur capacité à utiliser des outils qui pourraient compromettre la confidentialité des données de leurs clients. Par exemple, DeepSeek, développé en Chine, expose les données à des usages gouvernementaux. Même les versions gratuites de ChatGPT ou Mistral AI ne servent qu’à entraîner les modèles, ce qui reste incompatible avec nos obligations. Cependant, on peut utiliser des IA open source sur un serveur privé, mais cela demande des compétences techniques poussées pour l’installation, la sécurisation et la mise à jour. Et cela nécessite un budget.
Justement, le coût de mise en place d’une IA dans les process représente-t-il un investissement lourd pour les cabinets ?
F.D. : Ce n’est pas tant le coût du logiciel, mais celui de l’hébergement sécurisé, de la formation et de la mise à jour des données, soit l’entraînement de l’IA, qu’il faut prendre en compte. L’IA, ce n’est pas plug-and-play, il faut l’adapter au métier. Pour les petits cabinets, le coût d’un abonnement peut sembler raisonnable, cela représente environ 20 euros par mois par personne pour une solution généraliste. Mais pour des structures plus grandes avec des centaines de salariés, cela devient plus complexe et coûteux. Il faut également prévoir des coûts de formation et de sécurisation des serveurs [...]
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