Une étude menée par KPMG met en lumière les tendances et les obstacles rencontrés dans la mise en œuvre de la directive CSRD. L’enquête publiée le 21 mars dernier, souligne que si la double matérialité aide les entreprises qui y sont soumises, à prioriser les données, elle révèle aussi les défis opérationnels et organisationnels d’un reporting ESG encore en construction.
Selon l’enquête du cabinet de conseil et d’audit, basée sur un panel de 51 sociétés, dont 84% sont cotées avec 20 appartenant au CAC40, l'analyse de double matérialité, pierre angulaire de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), s'avère être un exercice complexe pour les entreprises. En moyenne, les entreprises du panel ont identifié 42 IROs (Impacts, Risques et Opportunités) matériels et 7 ESRS (European Sustainability Reporting Standards) matériels. Sur les 38 thèmes et sous-thèmes listés dans l’ESRS 1, les répondants ont noté en moyenne 24 thèmes comme matériels. Les thématiques prioritaires incluent l’atténuation du changement climatique (92 %), l’égalité de traitement (96 %), et la lutte contre la corruption (84 %). À l’inverse, des sujets comme le bien-être animal (10 %) ou les ressources marines (8 %) restent marginaux.
La double matérialité, efficace mais complexe
Si 100% des entreprises ont identifié les ESRS E1 (Changement Climatique), S1 (Effectifs) et G1 (Conduite des Affaires) comme matériels, la collecte des données s'avère ardue, avec une moyenne de 627 data points matériels à produire, dont 180 obligatoires liés aux ESRS 2 (informations générales). Grâce aux dispositions transitoires, ce chiffre peut être réduit à 400-450 points pour la première année, dont 60 % sont des informations qualitatives à produire une seule fois. Cependant, seules deux entreprises ont dépassé les 1 000 points de données, illustrant une certaine hétérogénéité dans l’application de la double matérialité. Cette complexité conduit à des difficultés d'estimation, notamment pour les émissions de GES du scope 3. Toutefois, ce gain de clarté n’a pas été sans mal : 30 % des projets ont nécessité une révision complète après audit, illustrant la complexité méthodologique du processus.
Collecte d'informations : un défi majeur
Le principal défi identifié reste la collecte des données, notamment auprès des chaînes de valeur – souvent mondiales, décentralisées et peu préparées aux nouvelles exigences de reporting. Ainsi, 65 % des entreprises déclarent que ce point a constitué leur plus grosse difficulté. Même en interne, des obstacles subsistent, particulièrement pour les données dites "qualitatives" (stratégies, plans d’action, ambitions).
L’absence d’uniformisation dans les méthodes de collecte, les retards dans les campagnes d’information et la difficulté à définir le périmètre des fournisseurs ont obligé de nombreuses entreprises à produire des estimations – parfois hétérogènes, voire incomplètes.
Des secteurs à des niveaux de maturité variés
L’étude révèle que les secteurs Utilities, Food & Agriculture et Automotive se distinguent avec une moyenne de 10 ESRS matériels identifiés par entreprise. Par exemple, le secteur alimentaire a relevé jusqu’à 94 indicateurs matériels, tandis que celui des Utilities en a identifié 51.
En revanche, certains domaines comme la défense ou les services financiers peinent à intégrer certains sous-thèmes complexes. Par exemple, seuls 12 % des entreprises ont activé le thème des droits des peuples autochtones, et 8 % celui des ressources marines.
Des outils et méthodes à revoir
La transformation digitale du reporting ESG tarde à se concrétiser : plus d’un tiers des entreprises utilisent encore Excel pour collecter et piloter leurs données. Les solutions spécifiques à la CSRD restent peu déployées (24 % du panel). Ce retard soulève des questions en termes de fiabilité, de sécurité et d’efficacité, alors que les volumes de données à traiter explosent. La transformation numérique des processus ESG reste donc encore largement à construire
Une gouvernance encore perfectible
Les projets de reporting sont majoritairement pilotés par les directions RSE seules (45 %), et dans une moindre mesure en co-pilotage avec la finance (31 %). Ce manque de transversalité affaiblit l’implication de la gouvernance : dans plus de la moitié des cas, les directions générales sont jugées peu engagées, alors qu’elles devraient jouer un rôle moteur dans les arbitrages et les priorisations.
Climat : des plans de transition fragiles
Sur les volets climatiques, la maturité est encore relative : si 80% des entreprises publient un plan de transition, seules 49 % sont jugés conformes et seulement 43 % sont réellement alignées avec les exigences des Minimum Disclosure Requirements (MDR). Quant aux inventaires de GES (gaz à effet de serre), 73% répondent aux standards de l’ESRS E1. L’étude note que la difficulté à articuler ces normes avec d’autres référentiels (GHG Protocol, SBTi...) complique la tâche.
Une montée en compétence nécessaire
Cette première expérience de reporting sous la CSRD révèle une dynamique d’apprentissage : les outils sont posés, mais la rigueur d’exécution reste à bâtir. La double matérialité est bien intégrée comme principe, mais sa mise en œuvre soulève des défis stratégiques, techniques et humains. Ainsi, l’avenir du reporting extra-financier dépendra d’une meilleure intégration technologique et d’un engagement renforcé à tous les niveaux de l’organisation. Le besoin de clarification et d’alignement sur les attentes réglementaires reste élevé, en particulier sur les sujets climat et gouvernance. Encore faut-il que les législateurs ne détricotent pas complètement le dispositif de reporting, comme semble l’annoncer le projet de directive européenne « Omnibus ».
Samorya Wilson
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