TRIBUNE - Par Grégoire Leclercq, directeur général de MyUnisoft -
La profession comptable traverse une mutation sans précédent. Concentration, pression tarifaire, érosion des valorisations : ces défis ne sont que les prémices d’une révolution plus profonde, portée par la maîtrise de la donnée digitale. Celle-ci redessine déjà, en silence, les contours d’une segmentation inédite et elle peut-être d’une nouvelle ère.
Un modèle déjà en tension
Pendant des décennies, le chiffre d’affaires du cabinet reposait sur la production comptable. Entièrement automatisée, la production est de moins en moins rentable, ce qui tire la rentabilité vers le bas. Les cabinets les plus performants anticipent désormais leur mutation vers des modèles hybrides, combinant automatisation et valorisation du conseil. Pour cela, ils doivent mener de front leur transformation digitale et leur évolution vers d’autres métiers.
Depuis cinq ans, le marché des logiciels de comptabilité est également disrupté par de nouveaux entrants, largement plébiscités pour leur ergonomie et l’interopérabilité de leurs applications. Mais, parce qu’elles s’adressent directement aux entreprises, ces marketplaces aggravent la situation des cabinets en affaiblissant leurs relations client et en pesant sur leurs marges, ce qui à terme, les privera des ressources nécessaires à leur transformation.
Nous assistons donc à un fractionnement de l’offre d’expertise comptable à l’échelle nationale par l’équipement digital. On observe d’un côté des cabinets ultra-digitalisés, qui perdent progressivement le contrôle de leurs offres, de leur base client et de leurs marges. De l’autre, on voit des cabinets qui cherchent à maîtriser la chaîne de valeur digitale en restant maîtres de la data et de la relation client, et à se différencier au travers de leur offre de conseil, mais qui peinent encore à affirmer leurs modèles propres dans ce nouveau contexte.
L’IA, un faux-ami
L’IA, qui devrait ouvrir le marché des services aux cabinets les plus petits, ne fait qu’accroître le fossé. Avec l’IA la donnée n’est plus la conséquence du traitement comptable : elle est le point de départ d’autres services (rapprochements automatiques, prévision de trésorerie, alertes, étude…). Elle impose donc un défi stratégique aux cabinets : gouverner la donnée pour en maîtriser le stockage, la sécurité, l’origine des algorithmes, mais également sur les modèles économiques sous-jacents afin de garantir aux entrepreneurs la qualité, la confidentialité et la sécurité des opérations dans la zone économique de leur choix (Cloud Act, RGPD, PIPL).
Le risque est clair : dans un monde où les technologies américaines dominent, la question n’est plus « comment utiliser l’IA », mais « qui contrôle l’IA, où sont hébergées nos données et avec quelles garanties de partage et de récupération ? ». L’indépendance technologique devient un enjeu métier qui pourrait les couper du contrôle de leur autre actif régalien : la donnée.
2026 : le tsunami de la facture électronique
En 2026, la facture électronique devrait accélérer la « commodisation » des services de base en digitalisant massivement les flux. Il reste peu de temps aux experts-comptables pour développer des offres d’accompagnement et choisir leur partenaire digital. Un choix crucial car il pourrait les conduire à une ubérisation partielle, ou renforcer le triptyque gagnant entrepreneur-cabinet-éditeur.
