Rencontre avec François Lambert, Président de l'Ordre des Experts-Comptables de Bretagne qui nous explique les chantiers qui lui tiennent à cœur et comment la profession doit s’adapter aux divers enjeux auxquels elle est confrontée comme : l’attractivité, la facturation électronique, la durabilité etc.
Le Monde du Chiffre : Vous venez de prendre la présidence de l'Ordre des Experts-Comptables de Bretagne, quelle sera la teneur de votre mandature ?
François Lambert : Nous sommes dans une démarche de continuité par rapport aux mandatures précédentes. L'équipe du conseil a été renouvelée d'environ la moitié, ce qui est une évolution naturelle au sein de notre profession où les mandats sont de quatre ans, avec une limite de huit ans consécutifs. Cette composition mixte, avec des membres expérimentés et de nouveaux élus, est une véritable force. Elle nous permet de nous appuyer sur le travail déjà accompli tout en apportant de nouvelles perspectives et une énergie renouvelée. C'est fondamental pour éviter toute rupture dans les actions menées. Notre profession est confrontée à des enjeux constants et il est essentiel de maintenir le cap sur les initiatives qui portent leurs fruits. Cette "passation de témoins dans le temps", comme je l'appelle, garantit une progression constante sur des thématiques qui sont, de toute façon, assez récurrentes dans notre métier. On ne repart pas d'une feuille blanche à chaque nouvelle mandature, mais on construit sur les fondations solides établies par nos prédécesseurs.
Quels sont les premiers chantiers qui vous tiennent à cœur ?
F.L. : Le premier axe majeur de mon action reste l'attractivité de notre profession. C'est un sujet extrêmement important sur lequel nous devons constamment travailler. Il est crucial de poursuivre et d'intensifier la communication auprès des jeunes, des étudiants, mais aussi auprès du grand public pour valoriser notre métier et susciter des vocations. Il faut savoir que l’expert-comptable est un véritable tiers de confiance, qui œuvre concrètement en faveur du développement économique. J'espère que cette vision et ces perspectives donneront envie aux plus jeunes de nous rejoindre, de s'épanouir dans notre profession et d'y faire une longue et enrichissante carrière.
Justement, avec quels leviers comptez-vous renforcer l’attractivité du métier ?
F.L. : La communication est un outil essentiel. Il faut continuer à expliquer la richesse et la diversité de nos missions. Trop souvent, l'image de l'expert-comptable est réductrice, cantonnée à la tenue des comptes et aux déclarations fiscales. Or, notre rôle est bien plus vaste. Nous sommes de véritables partenaires pour les entreprises, nous les accompagnons dans leur développement, leur gestion, leurs projets de transmission etc. Nous devons mettre en lumière cette valeur ajoutée et l'impact positif que nous avons sur l'économie.
Au-delà de l'attractivité, quels sont les autres grands axes de votre mandature ?
F.L. : Un autre axe fondamental est la reconnaissance de notre écosystème. Nous devons faire en sorte que les acteurs économiques, les institutions, nos clients eux-mêmes, reconnaissent notre profession à sa juste valeur. Cela passe par la création d'une relation de confiance solide. Nous sommes là pour rendre les choses possibles aux côtés de nos clients, pour les accompagner dans la concrétisation de leurs projets. C'est un aspect de notre métier qu'il faut absolument faire connaître pour démontrer notre utilité, notre vrai visage. C'est un travail de longue haleine. Aujourd'hui, quand on parle d'expert-comptable, on pense souvent au chiffre, au calcul de l'impôt. Bien sûr, cela fait partie de nos compétences, mais notre expertise s'étend bien au-delà. Nous intervenons sur des problématiques de gestion de patrimoine, de contrôle de gestion, de transmission d'entreprises… Sur tous ces sujets, nous ne sommes pas encore suffisamment identifiés comme les sachants, les référents. C'est pourquoi il faut continuer à communiquer, à valoriser nos compétences et notre pluridisciplinarité.
L’intelligence artificielle (IA) commence à prendre de la place dans votre secteur. Quel sera son impact sur la profession ?
F.L. : C'est un chantier majeur pour notre mandature. L’IA est aujourd’hui un outil d’aide qui automatise certaines tâches comme le traitement des données ou la mise en forme des conclusions. Nous devrons passer d'un rôle centré sur le traitement des données brutes à celui d'analystes capables de surveiller et interpréter la data. Cela représente une opportunité pour monter en compétence et offrir plus de valeur ajoutée à nos clients. L’IA enrichit nos analyses sans remplacer notre jugement ni la relation humaine avec les clients, qui restent au cœur de notre métier. Par conséquent, je préfère parler de "connaissance augmentée" plutôt que d’intelligence artificielle, car si elle nous permet d’élargir notre champ d’action, elle ne peut pas impacter l’aspect humain et émotionnel indispensable à nos décisions.
Sauf report, la facturation électronique devrait être obligatoire dès 2026. Comment préparez-vous la profession à cette transition ?
F.L. : C'est un chantier majeur pour notre mandature. La facturation électronique transformera profondément notre métier. Nous devrons passer d'un rôle centré sur le traitement des données brutes à celui d'analystes capables de surveiller et interpréter la data. Cela représente une opportunité pour monter en compétence et offrir plus de valeur ajoutée à nos clients. Cependant, il faudra accompagner cette transition par une formation adaptée pour éviter que certains ne soient laissés sur le bord du chemin.
Par ailleurs, la profession reste mobilisée pour que la facturation électronique puisse voir le jour à la date initialement prévue, malgré l’amendement, en date du 24 mars dernier, visant à reporter l’entrée en vigueur de la réforme, actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale, dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique. En effet, cette réforme reste essentielle à la modernisation de l’économie.
Quel rôle voyez-vous pour les experts-comptables en matière de durabilité ?
F.L. : La profession comptable travaille à sensibiliser et former les entreprises pour qu'elles comprennent mieux les enjeux de la durabilité. L'objectif est de les aider à intégrer ces nouvelles exigences dans leurs processus, tout en évitant qu'elles ne soient perçues comme une simple contrainte. Les experts-comptables sont parfaitement positionnés pour accompagner les entreprises dans cette transition grâce à leur expertise en analyse et fiabilité des données.
Mais face à la remise en cause de la CSRD à travers la directive de simplification dite « Omnibus » et le contexte géopolitique, quel conseil adresseriez-vous aux entreprises ?
F.L. : Deux approches distinctes émergent. D'une part, certaines entreprises considèrent cette réglementation comme une opportunité d’engager une dynamique vertueuse et poursuivront ainsi leurs efforts en matière de responsabilité sociétale et environnementale. D'autre part, d'autres attendront d'y être véritablement contraintes avant d’agir. Quoi qu’il en soit, la mise en place d’indicateurs de performance environnementale et sociétale demeure essentielle, car la demande des clients en la matière ne cessera de croître. La CSRD constitue un outil de mesure, mais son efficacité repose avant tout sur une volonté stratégique et une compréhension des bénéfices qu’elle peut apporter.
Dans notre rôle de conseil, nous constatons que l’adhésion des entreprises dépend largement de leur degré de maturité sur ces enjeux. Toutefois, il est primordial de ne pas relâcher les efforts. Il convient dès à présent d’engager une réflexion approfondie sur l’analyse des impacts et des situations, d’autant que les grandes entreprises, soumises à des obligations accrues, imposeront des exigences similaires à l’ensemble de leur chaîne de valeur.
Les entreprises doivent tirer parti de cette période de transition pour mettre en place des actions concrètes et accessibles. Anticiper ces évolutions leur permettra d’éviter un retard qui pourrait, à terme, s’avérer pénalisant.
Propos recueillis par Samorya Wilson
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