Alors que l'échéance de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) approche pour les PME et ETI françaises, une consultation menée par Makesense, une société de conseil en développement durable, révèle un paradoxe : 80 % des 294 entreprises interrogées se déclarent satisfaites de cette réglementation, tout en réclamant des ajustements majeurs. Entre besoins de soutien logistique, demandes d'allègements administratifs et inquiétudes sur l'audit, le paysage se dessine en nuances.
Coordonnée par Makesense avec l'appui de 24 experts RSE, une consultation sur la CSRD, réalisée du 10 au 18 février 2025, livre une photographie inédite des préparatifs des entreprises françaises. Ciblant spécifiquement les responsables de la mise en œuvre (DG, DAF, directeurs RSE), elle indique que 79 % des répondants sont des PME et ETI non cotées, soumises à la deuxième vague de la CSRD en 2026. Un détail important : seules 30 % de ces structures ont initié un audit de durabilité, contre 67 % des grandes entreprises cotées.
Parmi les répondants, figurent des acteurs économiques variés tels que : Accor, Aroma-Zone, Besson Chaussures, Bouygues Construction, Brevo, Caisse d'épargne Bretagne Pays de la Loire, Coop Atlantique, Delabie, Devoteam, DomusVi, Fayat, Groupe SFPI, Harmonie Mutuelle, Kiloutou, La Redoute, Médiamétrie, Mutuelle des Motards, Norsys, Phenix, Picard, Qonto, Quito Group, SCC, Serfim, Sodebo, Tape à l’Œil et Unibail-Rodamco-Westfield, etc.
Un grand écart de préparation entre les PME et les grandes entreprises
L’étude expose une fracture nette entre grandes entreprises et PME. Ainsi, 80 % des grands groupes cotés (première vague) affirment être « prêts ou quasiment prêts » contre seulement 12 % des PME/ETI. Quant à celles non soumises à l’obligation, mais se trouvant dans la chaine de valeur des grands groupes, 43% d’entre elles n’ont démarré aucune préparation.
Le détail des actions entreprises souligne les lacunes opérationnelles : 35 % seulement des PME/ETI, ont réalisé l’inventaire des points de données à reporter (contre 70 % des grandes entreprises) et 9 % ont organisé la collecte des informations pour 2025. Quant à la publication d’un premier rapport CSRD, seules 0,7 % l’ont fait. Les principaux freins cités sont : la complexité des indicateurs narratifs (48 % des demandes d’allègement) et le manque de référentiels sectoriels (72 % des requêtes).
Une satisfaction à condition de simplification et de soutien
Même si 80 % des répondants jugent positivement la CSRD, dont 13 % « très satisfaits », cette adhésion de principe masque toutefois un cahier de charges de réclamations abondant. Ainsi, le sondage liste les exigences précises des entreprises comme :
- Une élaboration de guides sectoriels (72 % ) pour simplifier l’application des normes ESRS ;
- Un guichet unique (52 %) visant à mutualiser les obligations (exemple : substitution du bilan GES Ademe) ;
- Une réduction des indicateurs obligatoires (52 %), perçus comme redondants avec d’autres reportings.
Le refus de suppression de la directive fait consensus
Contrairement à certaines critiques formulées çà et là, les entreprises ne souhaitent ni la suppression de la CSRD, ni l'abandon de la double matérialité. Seules 1,7 % d'entre elles réclament la suppression totale de la directive, et 1,4 % plaident pour un abandon du principe de double matérialité.
En revanche, des ajustements sont jugés nécessaires. Près de 18 % des répondants demandent une application progressive, en limitant dans un premier temps les obligations aux seuls indicateurs les plus stratégiques (ESRS E1, S1 et G1). Une proportion significative (12,9 %) souhaite la suppression de l'audit obligatoire pour les premières années.
Une demande d’assouplissement en réponse à la pénurie de vérificateurs agréés
L’enquête souligne que 48 % des entreprises de taille intermédiaire plaident pour un assouplissement temporaire des règles d’audit notamment en raison du manque d’auditeurs qualifiés. Ainsi, face à un déficit d’expertise interne, 75 % n’ont pas choisi d’auditeur, contre 33 % des grands groupes. La problématique des coûts joue également en faveur de la demande de ralentissement de l’application de la CSRD : 48 % des dirigeants demandent des subventions type « Diag décarbonation » de l’Ademe. Par ailleurs, ils dénoncent la complexité réglementaire du dispositif en jugeant à 46 % que les ESRS sont trop éloignés de leurs réalités opérationnelles.
Portée par ces résultats, la coalition d’experts formule des recommandations clés pour la loi Omnibus en cours d'élaboration par la Commission européenne :
- Hiérarchiser les indicateurs : 18 % des entreprises suggèrent de limiter les ESRS obligatoires, à E1 (climat), S1 (travailleurs) et G1 (gouvernance) , lors du premier rapport ;
- Échelonner l’audit : 14 % proposent de réduire son périmètre initial pour les PME ;
- Calibrer les délais : 8,8 % réclament un report d’un an de la publication.
Vers une adaptation de la CSRD ?
Si 89 % des entreprises anticipent un impact positif de la CSRD à long terme, notamment un renforcement de la résilience ou encore une meilleure gestion des risques, c’est à la condition que le cadre réglementaire soit adapté à leurs réalités. Alors que la Commission européenne présentera le projet législatif Omnibus le 26 février 2025, ces enseignements sont essentiels pour orienter les futures négociations.
Samorya Wilson
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