Échange avec Nicolas Férand : Élu Président de l'Ordre des Experts-Comptables Provence-Alpes-Côte d'Azur le e 19 novembre 2024 pour un second mandat de quatre ans et fondateur du cabinet Eponyme qu’il dirige depuis plus de dix ans, Nicolas Férand est aussi Commissaires aux comptes. Il est préoccupé par la réforme du seuil de franchise de la TVA, la dynamisation du commerce local ainsi que les enjeux de la profession tels que la numérisation, la transmission et la formation.
Le Monde du Chiffre : La réforme du seuil de franchise de TVA a été suspendue jusqu'en juin, mais elle n’a pas été annulée comme vous le souhaitiez. Quel est l'impact de cette décision ?
Nicolas Férand : En effet, la réforme entrera en vigueur le 1er juin avec le maintien du seuil unique de franchise de TVA à 25 000 euros. Les règles restent les mêmes : si une entreprise dépasse ce seuil, elle sera soumise à la TVA. Cet abaissement du seuil a permis de mettre en lumière les limites du statut de la micro-entreprise. Ce régime, initialement conçu pour un complément de revenu, est aujourd’hui souvent détourné, notamment par certains employeurs qui imposent à leurs salariés de devenir auto-entrepreneurs. Je pense qu’il faudrait plutôt réformer le statut de la micro-entreprise et s’interroger sur sa pertinence aujourd'hui.
L.MC. : Quelles seraient alors vos propositions pour une réforme plus profonde du statut de la micro-entreprise ?
N.F. : Je pense à un statut de "micro-entreprise non professionnelle" pour ceux dont l'activité reste un complément de revenu, à l’instar des particuliers qui mettent occasionnellement leur logement en location. En revanche, si l'auto-entreprise devient une activité principale, elle devrait alors être soumise aux mêmes obligations fiscales et sociales que les entreprises assujetties au régime réel d’imposition.
LMC : Mais, l’un des arguments en faveur de cette réforme est qu’elle mettrait toutes les entreprises sur un pied d’égalité. Y voyez-vous un intérêt pour les experts-comptables ?
N.F. : En théorie, on pourrait penser que la réforme est dans l’intérêt de notre profession, car elle fait entrer plus d'entreprises dans le champ de la TVA, ce qui pourrait élargir notre champ de travail. Mais notre rôle est aussi d'assurer l'équilibre économique et fiscal du pays. Nous devons être attentifs aux réalités du terrain. Or si l’objectif de transparence fiscale est louable, il faut aussi veiller à ne pas pénaliser les petites structures qui créent de l’emploi. Prenons l’exemple des sociétés d’entretien qui interviennent pour des syndics de copropriété : les structures classiques paient la TVA, mais l’agent d’entretien individuel en statut micro, non. La réforme va permettre de rééquilibrer le principe de libre concurrence.
L.MC. : En parlant de réforme, que pensez-vous des mesures de simplification administrative annoncées par le gouvernement ?
N.F. : Chaque gouvernement promet des simplifications, mais elles restent souvent complexes à appliquer. Si cela permet de faciliter la vie des entrepreneurs et de relancer l’économie, tant mieux. Mais il faut attendre de voir les propositions concrètes.
L.MC. : En tant que président de l’Ordre des experts-comptables PACA, récemment élu, quelles sont vos actions à venir ?
N.F. : Avec ma nouvelle équipe, nous avons défini trois axes. Premièrement, le numérique avec la réforme de la facture électronique et l’acculturation des professionnels du chiffre à l’IA dans leur quotidien. Nous avons mis en place des journées thématiques dans toute la région. Le deuxième axe concerne la transmission : nous renforçons nos collaborations avec les autres professions réglementées (avocats, notaires, architectes …) en organisant un évènement commun autour de la transmission d’entreprise. Enfin, le troisième axe se rapporte à la formation en accompagnant toute la profession de la région SUD autour des grands thèmes d‘aujourd’hui et de demain, mais aussi les étudiants qui embrassent notre cursus.
L.MC. : Avez-vous des propositions pour dynamiser le commerce local ?
N.F. : Oui, je pense notamment qu’il faudrait taxer plus lourdement la cession de droits au bail et les pas-de-porte. Aujourd’hui, certaines transactions spéculatives freinent la réinstallation des commerces en centre-ville. Une taxation plus élevée des plus-values excessives pourrait limiter ces dérives et favoriser l’implantation de nouveaux commerçants. Cette mesure viserait à dynamiser les centres-villes en facilitant l'accès aux locaux commerciaux et aux bureaux pour de nouveaux entrepreneurs, sans peser sur les finances publiques. Je pense aussi à un encadrement des loyers professionnels dans les centres-villes, cela éviterait aux Mairies de préempter des locaux avec les deniers des contribuables comme c’est le cas actuellement dans de nombreuses communes.
L.MC. : Vous évoquez aussi les enjeux liés à la durabilité et à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Comment les experts-comptables peuvent-ils accompagner cette transition ?
N.F. : Le développement durable devient un enjeu incontournable, même pour les petites entreprises. Les banques, par exemple, intègrent déjà des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) pour accorder des prêts. Notre rôle est d’aider nos clients à s’adapter à ces nouvelles exigences, nous pouvons notamment les accompagner pour établir leur reporting extra-financier ou effectuer une analyse des performances ESG. Nous avons mis à disposition de la profession des fiches pratiques dans ce sens.
Propos recueillis par Samorya Wilson
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