La conférence plénière des Rencontres Business du Monde du Droit a fait le point sur les incidences sur les entreprises françaises du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Alors que les députés britanniques ont rejeté pour la troisième fois, vendredi 29 mars, le traité de sortie de l’Union européenne qui leur était soumis, rendant l'hypothèse d’un Brexit sans accord de plus en plus envisageable, la plupart des entreprises françaises ne sont pas prêtes.
Or, les enjeux sont nombreux, que ce soit en termes de mobilité des salariés et de leur famille, de fiscalité, de propriété intellectuelle ou encore, de contrats commerciaux.
Quels impacts du Brexit sur les relations avec le Royaume-Uni ? Dans quel cadre juridique les entreprises vont-elles vivre au Royaume-Uni ? Quelles mesures peuvent-elles prendre pour se préparer ? Comment faire avec l'incertitude ?
La conférence plénière des Rencontres Business du Monde du Droit, qui s'est tenue mercredi 27 mars 2019, a tenté de répondre à ces quelques interrogations et de faire le point sur les enjeux auxquels sont confrontées les entreprises avec l’arrivée du Brexit.
Gérer l'incertitude d'avant Brexit…
Alexandre Holroyd, député LREM de la troisième circonscription des Français de l'étranger et rapporteur du projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au Brexit, prévient d'emblée : non seulement le dénouement du Brexit ne lèvera pas l'incertitude mais les ordonnances prises par le gouvernement français ne feront pas disparaître ses effets néfastes sur les entreprises : « Aucune ordonnance ne peut pallier le fait que le Royaume-Uni veut quitter l'UE et le marché commun ».
Le Président du Groupe d'amitié France-Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ne cache d'ailleurs pas sa déception face à ce divorce intra-européen.
… et anticiper l'incertitude d'après Brexit
De son côté, Hervé Jouanjean, Of Counsel au sein du cabinet Fidal et ancien Directeur général à la Commission européenne, relativise également la portée de ce « dénouement » tant attendu : « Au jour 1 après le Brexit, rien ne va changer ».
Le Royaume-Uni a en effet promulgué une loi (European Union (Withdrawal) Act 2018) qui transpose en droit interne les dispositions du droit de l'UE qui ne l'étaient pas encore. S'il y a accord, le Brexit ne sera que la première étape, la transition se fera jusqu'à fin 2020. Lucide, il prévient : « Il va falloir reconstruire en moins bien ce que nous avons aujourd'hui. »
Saluant au passage les propositions de la Première ministre Theresa May, il s'attend néanmoins à « des tensions considérables entre l'Union européenne et le Royaume-Uni », conséquences de ce « processus totalement irrationnel ».
Préoccupations que partage Anne-Claire Dubois, juriste experte en données personnelles exerçant depuis huit ans à Londres.
Les données, enjeu crucial
La londonienne alerte en effet sur le fait que 15 % des données transitent à ce jour par le Royaume-Uni. Elle précise que pour les flux transitant du Royaume-Uni vers l'UE, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. En revanche, dans le sens UE-Royaume-Uni, on ne peut passer outre une révision des contrats. De même, il faudra revoir la cartographie prévue par l'article 30 du RGPD et s'assurer de la situation géographique du délégué à la protection des données (DPO). Elle précise à cet égard que l'Information Commissioner's Office (ICO), la CNIL britannique, a mis en ligne des fiches pratiques à destination des entreprises.
Ainsi, dans le cas d'un retrait sans accord, tous les contrats seront à revoir, prévient la juriste ; une procédure de trois à cinq ans est à prévoir.
Ce « Brexit dur », Alain-Christian Monkam n'y croit pas. Avocat aux Barreaux de Paris et de Londres et Directeur de Monkam Solicitors Limited, cabinet d'avocats londonien spécialisé en droit du travail et restructuration des entreprises au Royaume-Uni, il relativise les effets économiques ou juridiques du Brexit, qui selon lui est « surtout à ce jour une hystérie politique ».
Néanmoins, ses fonctions lui font entrevoir et anticiper les conséquences non négligeables sur les salariés français des entreprises hexagonales installées au Royaume-Uni depuis moins de cinq ans. En particulier, la nouvelle directive sur le détachement de travailleurs ne trouvera plus à s'appliquer.
Se préparer malgré tout !
Ainsi, si les entreprises peuvent et doivent anticiper dès à présent ce qui peut l'être – à commencer par un audit des exportations et, le cas échéant, le stockage des marchandises au Royaume-Uni – il est acquis, selon nos trois interlocuteurs, que l'incertitude persistera à moyen terme.
D'autant plus, comme le souligne Alexandre Holroyd, que « l'incertitude vient aussi de la liberté que le Royaume-Uni prendra en sortant »...
Pascale Breton