Lors d’une intervention à Colmar le 22 février 2018, le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire aurait déclaré vouloir supprimer les mandats de commissariat aux comptes dans les petites entreprises. Cette annonce n’a pas manqué de susciter les plus vives réactions dans le monde de l’audit légal. Nous avons interrogé à ce sujet Jean-Luc Flabeau et Denis Barbarossa, à la tête respectivement des syndicats ECF et IFEC. Le Président de la CNCC Jean Bouquot a également accepté de s’exprimer dans nos colonnes.
Serait-ce la fin des commissaires aux comptes dans les petites entreprises ? Il semblerait en tout cas que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, ait formulé ce souhait lors d’une intervention le jeudi 22 février 2018 à Colmar, devant une assemblée de chefs d’entreprise. La nouvelle a été accueillie comme un coup de tonnerre par la profession du chiffre, avec de vives réactions, notamment sur les réseaux sociaux suivant le hashtag #JesuisCAC_PE.
La question sous-jacente du relèvement éventuel des seuils d’audit légal – lequel entraînerait une perte des mandats PE – est dans les tuyaux des pouvoirs publics depuis novembre 2017, la ministre de la Justice Nicole Belloubet et Bruno Le Maire lui-même ayant confié à l’IGF une mission en vue de « définir le niveau pertinent des seuils de désignation des commissaires aux comptes » (annonce faite par la garde des Sceaux lors des 30èmes Assises de la CNCC).
Le Forum CAC organisé par le syndicat ECF s’était fait dernièrement l’écho de cette problématique, dont l’enjeu est de taille puisque 150 000 mandats d’audit légal pourraient être menacés dans l’Hexagone. L’annonce (à confirmer) du ministre de l’Économie et des Finances intervient alors que la mission de l’IGF ne semble pas encore achevée. La surprise, l’inquiétude des professionnels du chiffre sont donc légitimement de mise…
Jean-Luc Flabeau : « Les propos du ministre Bruno Le Maire doivent être pris comme un coup de semonce et un appel à réagir ensemble »
Interrogé par le Monde du Chiffre, le Président du syndicat ECF Jean-Luc Flabeau a déclaré : « Ce qui se passe est assez surprenant. Pour moi, la mission de l’IGF n’est pas terminée. Il est étonnant que le ministre de l’Économie et des Finances, qui n’est pas notre ministre de tutelle, ait fait cette déclaration de suppression des commissaires aux comptes dans les petites entreprises, sans a priori en dire davantage. C’est surprenant, c’est inquiétant. »
Jean-Luc Flabeau a également livré son scepticisme concernant l’action menée par la CNCC pour défendre ces mandats PE : « La Compagnie nationale n’agit pas suffisamment pour convaincre les pouvoirs publics de l’utilité des commissaires aux comptes dans les petites entreprises. La garde des Sceaux Nicole Belloubet avait prévenu aux Assises que le statu quo n’était pas possible. Il ne suffit pas de marteler que l’auditeur légal est utile aux entreprises, il faut à tout prix faire des propositions. Les propos du ministre Bruno Le Maire doivent être pris comme un coup de semonce et un appel à réagir ensemble. »
Le syndicat ECF a diffusé en ce sens un communiqué pour répondre aux déclarations de Bruno Le Maire, interpeller la CNCC et rappeler ses propositions en faveur d’un « véritable audit adapté aux petites entités ».
Denis Barbarossa : « Je trouve cette déclaration précipitée, je pense que c’est un propos malheureux »
Le Président du syndicat IFEC Denis Barbarossa a également exprimé sa surprise à l’annonce du ministre de l’Économie et des Finances : « Je trouve cette déclaration précipitée, je pense que c’est un propos malheureux qui va à l’encontre des échanges structurants établis avec les pouvoirs publics. »
Sur la politique menée par la Compagnie nationale, Denis Barbarossa déclare : « Je soutiens pleinement l’action du Président Bouquot et de son équipe. (…) J’appelle mes consœurs et confrères à rester confiants sur les travaux de la Compagnie nationale. »
Puis de livrer cet argument au soutien de l’intervention des commissaires aux comptes dans les petites structures : si l’auditeur légal est parfois vécu comme une charge ou une contrainte par les entrepreneurs, c’est peut-être parce que précisément, son rôle consiste à « remettre le chef d’entreprise dans le droit chemin » lorsque cela s’avère nécessaire.
Jean Bouquot : « Je suis extrêmement surpris, j’ai demandé immédiatement rendez-vous au ministre Bruno Le Maire »
Le Président de la CNCC Jean Bouquot a également manifesté « une très forte surprise au retour d’information sur les propos du ministre tenus devant un cercle de chefs d’entreprise à Colmar » en regrettant « des déclarations n’ayant été précédées d’aucune annonce, ou rendez-vous, ou information préalable ».
« A ma connaissance, la mission de l’IGF n’a pas rendu son rapport. (…) Je suis donc extrêmement surpris et j’ai demandé immédiatement rendez-vous au ministre par l’intermédiaire de son directeur de cabinet » précise-t-il.
Interrogé sur l’action de la Compagnie nationale en faveur des mandats PE, Jean Bouquot prend soin de défendre celle-ci : « Une Commission Pôle PE travaille depuis un an. Des éléments techniques ont été produits par cette Commission, qui ont d’ailleurs fait l’objet d’une communication de la CNCC vendredi dernier. Ils permettent aux consœurs et confrères de mieux se positionner par rapport à l’application de la proportionnalité de l’audit dans les petites entités. Nous avons par ailleurs engagé avec le H3C une démarche de révision de la norme PE. Nous avons également réfléchi à des argumentaires sur l’utilité du commissaire aux comptes dans les petites structures et à d’autres éléments nous permettant de nous positionner par rapport aux attentes des entreprises. »
Hugues Robert