Dans son Book de tendances 2025, publié ce 4 mars, KPMG France, explore les contours d’une révolution en cours : l’émergence d’une intelligence hybride entre humains et machines. Entre souveraineté technologique, guerre contre les fakes news et écologie augmentée, l’étude dessine six scénarios clés pour les organisations – et esquisse un monde post-2030 où les IA deviendraient gardiennes de vérité et architectes de symbiose économique.
Prenant appui sur les éclairages d’une trentaine d’experts, universitaires et dirigeants d’entreprise, le Book élaboré par le département Innovation de KPMG France, un cabinet de conseil et d’audit, a pour ambition d’exposer les enjeux de l’hybridation des intelligences et son impact sur les organisations. Le rapport explore cette convergence entre technologie et intelligence collective à travers six grandes tendances.
Il s’agit donc d’imaginer une « Entreprise puissance », souveraine et impliquée dans les politiques de développement, et de repenser les organisations avec « L’École de l’intelligence hybride », qui valorise le partage des compétences et la collaboration entre humains et intelligences artificielles.
L’innovation au service de l’humain est au cœur de ce que les auteurs nomment, « Les nouveaux Léonards », où la puissance de calcul ouvre de nouvelles perspectives créatives et scientifiques. « La guerre du faux » aborde les défis liés à la désinformation et à l’éducation, tandis que « L’intelligence amie » définit les nouveaux cadres de coopération au quotidien. Enfin, « L’écologie augmentée » explore les moyens technologiques insoupçonnés qui accélèrent les transitions environnementales.
Entreprise puissance : reprendre le contrôle face aux géants du numérique
La dépendance croissante aux infrastructures des Big Tech (cloud, centres de données, modèles d’IA) catalyse une prise de conscience stratégique. « L’entreprise puissance doit reconquérir sa liberté technologique sans renoncer aux bénéfices de l’IA », relèvent les experts de KPMG dans leur analyse des architectures hybrides combinant solutions propriétaires et communs numériques. Le rapport indique que des solutions émergent, en open source, à l’image du cloud souverain d’OVHcloud ou du partenariat entre Mistral et AI-Dassault Systèmes pour développer Outscale, une IA générative en phase avec les exigences européennes.
Agents conversationnels : le défi de la cohabitation productive
Selon Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur émérite à HEC Paris et contributeur au Book de tendances 2025, « les capacités des machines conduisent à reconsidérer les compétences des humains qui les utilisent ». Avec les systèmes multi-agents capables de traiter 40 % des demandes clients sans intervention humaine, comme l’illustre le chatbot Ava chez Navan, la frontière entre collaborateurs réels et virtuels s’estompe. Pour Ludovic Cinquin, cofondateur d’OCTO Technology, « certains groupes comme Google appellent leurs recrues à "désapprendre" pour libérer l’esprit d’initiative », une transition nécessaire vers un nouveau partage des compétences ».
Guerre du faux : l’urgence d’une contre-offensive techno-éthique
Face à la multiplication des deepfakes et désinformations algorithmiques, Anne Alombert du Conseil national du numérique alerte : « Le citoyen du XXIe siècle doit être capable d’exercer son esprit critique face à la circulation massive d’informations ». Le rapport préconise des solutions combinant blockchain, signatures cryptographiques et « IA de la vérité », capables de détecter les manipulations en temps réel. Ces technologies devraient s’accompagner selon elle, d’une « intégration de l’histoire des techniques dans les programmes scolaires ».
Métamorphose des compétences : naissance de l’école hybride
L’automatisation massive des tâches routinières rebat les cartes de la formation professionnelle. Ainsi, Marie Guillemot, présidente de KPMG France, anticipe l’émergence de « nouveaux polymathes capables, comme à la Renaissance, de créer à la croisée des sciences, des arts et des humanités ».
Cette vision rejoint celle d’Aurélie Jean, numéricienne, entrepreneuse, autrice de « Les algorithmes font-ils la loi ? », pour qui « nous devons nous redéfinir en s’éloignant de ce que fait la machine, en valorisant l’intelligence émotionnelle et créative ».
Nouveaux Léonard : quand l’IA réinvente la créativité
Le rapport identifie l’émergence d’une génération d’inventeurs hybrides combinant intuition humaine et puissance algorithmique. Axel Cypel, ingénieur et essayiste, auteur de « Au cœur de l’intelligence artificielle » et de « Voyage au bout de l’IA » et responsable IA d’une grande banque française, nuance : « Croire que les données sont neutres relève du biais des biais ». Ces « néo-Léonard » s’appuient pourtant sur des outils comme DALL-E 3 ou AlphaFold 3 pour accélérer les découvertes médicales, notamment contre le cancer, selon les observations de Marie Guillemot.
Écologie augmentée : la tech au service du vivant
Olivier Hamant, biologiste à l’INRAE, directeur de l’Institut Michel Serres et auteur d’ouvrages comme « L’entreprise robuste » (2025) et « De l’Incohérence, philosophie politique de la robustesse » (2024), met en garde contre « le danger de suroptimisation algorithmique réduisant notre adaptabilité ». Le programme Confiance.ai – réunissant industriels et académiques – montre la voie vers des IA frugales garantissant performance et sécurité énergétique. Paul Labrogère, directeur de l’IRT Système X, souligne que « les processus industriels doivent concilier innovation et méthodes d’ingénierie rigoureuses ».
Horizon 2030 : de l’otium retrouvé aux IA gardiennes du vrai
Le Book esquisse des « futurs audacieux » où « les IA conviviales s’adaptent à chaque utilisateur » et où le quantique modélise les impacts écosystémiques en temps réel. Un futur où l’IA générative laisserait aussi la place à l’otium (terme latin, désignant une forme d'oisiveté). Marie Guillemot estime que « cette transformation radicale doit s’accompagner d’un cadre éthique rigoureux pour servir le progrès humain ». Une vision partagée par Christophe Lienard, directeur central de l’innovation du groupe Bouygues et président du think & do tank Impact AI du groupe Bouygues, pour qui « toutes les fonctions de l’entreprise sont concernées par l’IA ».
En définitive, alors que l’Europe finalise son AI Act, le rapport rappelle qu’« aucune régulation ne pourra remplacer une refondation culturelle des organisations ». Entre défiance technophobe et angélisme numérique, la voie étroite de l’hybridation exige autant d’audace que de sagesse – un équilibre que les entreprises devront incarner pour rester humaines à l’ère des machines.
Vous pouvez télécharger le Book complet ici
Samorya Wilson